Les mécomptes agricoles de Serge Lepeltier

Avec la livraison, le 9 février, du rapport annuel de la cour des comptes, les médias ont mis en avant quelques dysfonctionnements relevés, comme l’usage surprenant de certaines voitures de police, les inégalités des contribuables devant le contrôle fiscal ou la responsabilité du gouvernement dans la hausse du déficit public.

Dans la deuxième vague de commentaires, les sites spécialisés sur les sujets environnementaux font apparaître le chapitre concernant « les instruments de la gestion durable de l’eau ». Le constat est sévère et les titres de paragraphes sont éloquents : « bilan décevant de la politique de l’eau », « amélioration trop lente de la qualité des eaux », « méconnaissance par la France des objectifs fixés par des directives communautaires », « une action répressive insuffisante et mal suivie »
Comme pour les infractions répétées au dispositif européen Natura 2000, c’est à la perspective de sanctions financières importantes que s’expose le gouvernement, puisque la Directive-cadre sur l’eau (DCE) soumet la France à des obligations de résultat pour 2015 (même si des « reports de réalisation de l’objectif » sont d’ores et déjà prévus pour 2021 et 2027…). Comme le relève la Cour des comptes, ces sanctions pécuniaires ne pèseront que sur l’État, c’est-à-dire le contribuable, non sur les pollueurs.
Principaux accusés par le rapport : les pollutions diffuses d’origine agricole (épandages de pesticides et d’engrais).

Sur le plan qualitatif, l’activité humaine, industrielle et agricole est à l’origine de pollutions principalement organiques, chimiques (fertilisants, pesticides, métaux, etc.) et biologiques (bactéries, virus, etc.) qui finissent par rejoindre les milieux aquatiques. Ces pollutions peuvent être ponctuelles (exemples : rejets domestiques ou industriels, effluents d’élevage…) ou diffuses (ex : épandages de pesticides et d’engrais).
Si les premières commencent à être correctement traitées, il n’en va pas de même des secondes. Pour mettre en place la directive-cadre sur l’eau, des états des lieux par bassin ont été réalisés fin 2004 par les agences de l’eau. Pour les cours d’eau, ces bilans tendent à montrer que la pollution par les matières organiques et phosphorées, issues des rejets urbains et industriels, a sensiblement diminué depuis une dizaine d’années, grâce aux investissements réalisés par les collectivités locales et les entreprises, mais qu’elle atteint aujourd’hui un palier.
La pollution due aux nitrates, majoritairement d’origine agricole et dépendante des conditions climatiques, reste en revanche élevée en moyenne. Les baisses dans les bassins les plus touchés sont compensées par des hausses ailleurs, contribuant sur certains littoraux aux phénomènes de « marées vertes ». En outre, bien qu’elle reste mal connue et ses effets mal évalués, la présence dans les cours d’eau d’autres polluants (hydrocarbures, métaux, polluants toxiques, médicaments, etc.) est avérée. Pour les masses d’eau souterraines, les mêmes enquêtes révèlent que la concentration en nitrates était d’une qualité moyenne voire médiocre pour près de la moitié des points de mesure. Par ailleurs, les pesticides étaient présents dans les deux tiers d’entre elles.

La responsabilité de l’État dans cette affaire : une mauvaise utilisation des instruments réglementaires, de l’action répressive et des leviers financiers, ainsi qu’une coordination insuffisante entre des acteurs dispersés.
Mais sur le fond, ressort de ce rapport que bien souvent les actions ont été entreprises dans une logique inverse à ce qui eût été vraiment efficace : « Les agences financent en effet des actions sur l’eau potable, souvent curatives, pour des montants 1,8 fois supérieurs à ce qu’elles consacrent à l’action préventive via le changement des pratiques agricoles ou la protection de la ressource : dans les 9es programmes, 1,29 Md€ contre 712 M€. » De même que les collectivités « ont souvent privilégié les investissements dans des usines de traitement d’eau potable. La modernisation des stations d’épuration a ainsi débuté tardivement, alors que les procédures prévues dans ce domaine (modification des documents d’urbanisme, enquête publique…) sont très lourdes et les risques contentieux importants. La gestion de l’assainissement sous la forme de délégation de service public et les délais de transfert de la compétence assainissement aux intercommunalités ont également retardé la mise en conformité. Enfin, les retards constatés sont souvent liés aux difficultés rencontrées par les collectivités pour définir une solution de traitement des boues d’épuration, chacune des trois options disponibles aujourd’hui (épandage agricole, incinération, stockage) présentant des inconvénients. » Pourtant, des solutions alternatives existent, comme la Cour des comptes prend soin de le mentionner :

(…) des exemples, en France et en Europe, montrent aussi qu’il est possible de mettre en place une politique efficace de lutte contre les pollutions diffuses agricoles :
− au Danemark, des quotas d’azote imposés aux exploitants assortis d’une taxe sur les pesticides ont permis de diminuer l’azote, le phosphore et les pesticides de plus de 30 % en dix ans, alors que la production agricole augmentait dans le même temps de 3 %.
− certaines régions allemandes (et, en France, la société des eaux de Vittel ou la ville de Lons le Saunier) ont mis en œuvre des programmes basés sur le rachat de terres agricoles et la conversion des exploitations à l’agriculture biologique. Le coût du programme de la ville de Munich renchérit le prix de l’eau de 0,087 centimes/m3, alors que le coût de dénitrification d’une eau de plus de 50 mg/l y est de l’ordre de 0,23 €/m3283. Le coût du traitement est donc 2,5 fois plus élevé que celui de la prévention.

Perdu dans les nombreuses considérations de ce rapport, un petit paragraphe assassin résume sans doute toute la faillite des politiques publiques menées :

Les résultats décevants constatés sur les nitrates comme sur les pollutions par les produits phytosanitaires trouvent en grande partie leur origine dans une insuffisante volonté de l’État, aux niveaux communautaire et national, de remettre en cause des pratiques agricoles durablement marquées par l’encouragement au productivisme et le choix d’une agriculture intensive.

Malgré les grandes déclarations liées au Grenelle de l’environnement, rien ne permet de penser que les mentalités aient changé et que les véritables enjeux aient été perçus. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter les arguments de Serge Lepeltier, pourtant ancien ministre de l’écologie, candidat UMP sur la liste de Novelli pour les régionales. Dans le récent débat de « La Voix est libre » sur France 3 Centre, il s’oppose à la défense par Jean-Philippe Grand d’un autre modèle agricole en déclarant :

« Vous n’êtes pas dans une politique globale d’aide à l’agriculture. Or le défi des années prochaines, c’est la réforme de la PAC, au niveau européen, qui va avoir lieu. Et là, si nous voulons que notre territoire reste structuré, il faut que nous gardions une agriculture globale forte. Et là, il faut aller beaucoup plus loin. [Qu’appelez-vous une agriculture globale ?] Que l’importance de l’agriculture que nous avons aujourd’hui dans notre région perdure dans l’avenir. Or nous savons que la réforme de la PAC peut mettre en cause de nombreuses exploitations. Et là, nous avons un accompagnement à mener qui est beaucoup plus important. Et nous envisageons pour tout vous dire de multiplier par 4 le budget d’aide à l’agriculture pour justement accompagner cette réforme. Je suis tout à fait d’accord pour tout ce que vous dites sur le bio, mais il faut raisonner globalement. Si nous voulons sauver notre agriculture dans la région Centre, il faut aller beaucoup plus loin. Dans la stratégie que vous défendez, c’est la mort de la majorité des exploitations agricoles de la région Centre. Toute l’agriculture de la région Centre disparaîtra dans sa très grande majorité. »

En bref : quadrupler le budget d’aide à l’agriculture du Conseil Régional pour sauver une agriculture productiviste menacée de disparition dans notre région. Tout ça pour que la région Centre conserve un équilibre « global » particulièrement satisfaisant, puisque moins de 2% des terres sont exploitées en agriculture biologique !