Le pôle communication du Conseil général a pris pour habitude de donner une signification profonde aux délibérations prises en commission permanente alors que celles-ci ne présentent généralement qu’un caractère formel : elles ne font que décliner les grandes orientations votées par l’Assemblée. C’est ainsi que le Président Doligé tente de faire croire que ses idées sont largement soutenues pour peu que personne ne s’oppose à lui sur la mise en oeuvre des règlements départementaux. Bien entendu, il est fréquent que la gauche accepte la mise en œuvre, dans des cas concrets, d’une politique qu’elle rejette globalement mais que la majorité départementale a régulièrement adoptée et qui est entrée en application.
Le 25 mars dernier, par exemple, le contrat de partenariat public-privé (PPP) relatif à la construction de cinq collèges a été attribué à l’unanimité au candidat qui présentait le meilleur projet. Un PPP à l’unanimité ! Eh bien oui, on peut déplorer le recours à ce type de contrat, c’est mon cas, et accorder sa confiance à l’exécutif lorsqu’il s’agit de désigner l’entreprise la plus performante. Quelle ne fut pas ma surprise de voir que cette confiance était largement détournée par le président qui interpréta ce choix de l’entreprise comme une approbation du PPP «dans le fond et dans la forme ». Un mensonge éhonté, assorti par ailleurs de commentaires ironiques dignes d’une cour de récréation.
Du coup, je n’avais pas envie de tomber dans le même piège puéril lors de la commission permanente d’avril qui se tenait il y a quelques jours. Le premier rapport examiné en fut une parfaite illustration. Il s’agissait de légers ajustements à apporter au règlement des transports scolaires départementaux. On se souvient de la bataille qui opposa toute la gauche au Président du Conseil général à ce propos. Dans un premier temps, nous avions accepté à la quasi unanimité la participation des familles aux déplacements de leurs enfants après qu’Eric Doligé s’était engagé à appliquer un tarif tenant compte des ressources de ces familles. Au moment de fixer réellement ce tarif, nous avions malheureusement constaté la trahison de cette promesse si bien que la participation des familles ne fut finalement votée que par les 27 membres de la majorité contre les 14 membres de l’opposition (PS, EELV, PC et apparentés). On ne peut donc pas nier un clivage profond sur la questions des transports scolaires.
Voilà pourquoi, au moment d’adopter cette année des ajustements du tarif, je rappelai notre souhait d’y intégrer la principale modification qui vaille, la mise en place d’un système de quotient familial, à défaut de quoi le groupe socialiste, écologiste et républicain ne voterait pas la délibération proposée. Et comme, pour la droite, il n’est toujours pas question de faire payer les gens en fonction de leurs ressources, la révision du règlement des transports scolaires n’a pas fait l’unanimité. «Dans la forme », les ajustements n’en sont pas moins adoptés tandis que «dans le fond », nul ne pourra entretenir de fausse rumeur sur une quelconque approbation par la gauche de la facturation injuste de ce service.
Une situation similaire se présentait un peu plus tard à propos de la création d’une ZAC à Gidy afin d’étendre la zone industrielle existante à Saran. En soi, le projet est tout simplement dans la droite ligne du développement économique tel qu’il est conçu par tous les décideurs, de gauche comme de droite depuis le siècle dernier. Il s’agit, pour favoriser l’implantation d’entreprises, de créer une nouvelle zone viabilisée à la place de terres agricoles dont on m’affirmera d’ailleurs qu’elles sont de mauvaise qualité. L’endroit est particulièrement propice à la création d’emploi puisque les sociétés Servier ou Deret, attendent avec impatience de pouvoir s’agrandir, à deux pas de l’autoroute. La création de cette ZAC permettra en outre, de créer de nouvelles routes qui désengorgeront la circulation dans la zone industrielle préexistante. Argument supplémentaire : « Si nous avions eu cet espace, la société Amazon ne serait pas allée ouvrir sa toute dernière unité dans un autre département ». Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, donc.
Sauf qu’il y a, dans cette commission permanente du Conseil général, un écolo qui ne croit plus au Père Noël et qui fit entendre un autre son de cloche.
Après des décennies passées à construire des zones d’activité et des routes et des zones d’activité et des routes et des zones … le Loiret s’illustre par un taux de chômage particulièrement élevé. Son développement économique a certainement profité à M Deret, dont les camions « respectueux de l’environnement » parcourent nos « éco-autoroutes » et autres déviations départementales. Mais lorsque survient la crise, tout cela s’effondre comme un château de cartes et les entreprises « attirées » à grands frais dans le département ne se gênent pas pour réduire leur activité ou fermer. Pourtant, cela fait quatre ans que j’entends Eric Doligé parler de la fin de la crise qui va bientôt arriver et de la croissance qui reprendra comme avant. Le pétrole redeviendra abondant, les Russes et les Chinois redeviendront de pauvres communistes dans leur coin, les Africains, Indiens ou Brésiliens cesseront de vouloir exploiter pour eux-mêmes les ressources naturelles de leurs continents. Je crois qu’il y a une date de fixée pour ce moment merveilleux où le monde économique occidental ressemblera à nouveau à celui des trente glorieuses : cela doit se passer un 25 décembre, nuit magique.
Désolé, mais je n’y crois pas.
Alors, au moment de voter la création d’une nouvelle ZAC, malgré tous les avantages du site de Gidy et toutes les promesses d’emplois qui viendraient s’y installer au lieu d’aller ailleurs, je me suis dit que ce ne serait pas raisonnable que cette décision soit prise à l’unanimité. Que les générations futures ne constatent pas qu’en 2013, l’ensemble des décideurs du département avait encore une telle foi dans un système économique périmé. Malgré l’amicale argumentation de mes collègues socialistes, malgré la stupéfaction des élus de la majorité qui ne voient pas le problème, malgré le plaidoyer virulent du représentant du Front de gauche, j’ai pris le risque de décevoir messieurs Deret et Servier et j’ai abandonné à d’autres la gloire de les autoriser, aux frais du contribuable, à développer leurs entreprises et apporter leurs bienfaits à ceux qu’ils emploient .
Article paru initialement sur le blog de Thierry Soler, Conseiller général du Loiret.
Illustration : couverture de Coup de Sang de Cavanna, dessinée par Cabu